La vie rêvée de Rachel Waring

Un roman anglais excentrique et tendre, qui dérange et met en joie tout à la fois.

Note : 3,5/5.

La-vie-revee-de-Rachel-Waring_mars 2016

Rachel Waring, une femme londonienne seule et effacée reçoit un beau jour en héritage de sa vieille tante une maison à Bristol. C’est le début pour elle d’une nouvelle vie, celle dont elle a toujours rêvé. Elle démissionne, déménage, engage un nouveau jardinier, redécore de fond en comble, pour une vie d’oisiveté romanesque, de chansons et d’exquise poésie. Peu à peu, les fantasmes prennent le pas sur la fadeur du quotidien, et Rachel Waring, littéralement, prend ses désirs pour des réalités, tandis que son entourage, si bon et généreux à travers ses yeux, tente de profiter de sa vulnérabilité.

Ce roman, traduit et édité à l’initiative de l’excellente maison d’édition Le Tripode, est un objet curieux. Le livre est truffé de références aux comédies musicales et aux chansons de Sinatra, Bing Crosby et Fred Astair  qui donnent le ton et traduisent les fantasmes naïfs de la narratrice vieillissante.

On oscille sans cesse entre pitié et admiration devant le courage et la candeur de la narratrice, cette détermination à remplir une vie jusqu’alors vide du fatras romantique des adolescentes nourries aux romans de Jane Austen. Bravement, Rachel se range du côté de la gaieté, et lutte contre le découragement. On comprend peu à peu le malaise entourant son étrange comportement dans les réactions d’autrui, rapportées par la narratrice sans distance et sans sourciller.

Le livre est traversé de traits lucides et cinglants (« Avec la distance, on trouve toujours quelque chose de touchant à l’échec d’autrui« ), qui alternent avec des scènes absurdes et du comique de situation. L’écriture retranscrit bien cette perte graduelle de lucidité.

Ce livre est drôle et pourtant il m’a un peu mise mal à l’aise. Il m’a beaucoup fait réfléchir. Je m’interroge souvent sur la frontière floue entre fantasme et réalité, sur la censure sociale aussi. Je pensais à Rachel pendant la journée, et à la solitude, au pouvoir de l’imaginaire.

« Personne n’acquiert jamais rien sans se battre. Défier, et non dénier. C’était le jeu. Je pensais l’avoir appris. Mais, non : voilà ce que j’avais appris : qu’il devenait de plus en plus difficile d’être courageuse devant les catastrophes. Résilience, gaieté et lucidité… étaient devenues exténuantes. Des qualités qui demandaient une force surhumaine. Et soudain, je me sentais fragile. Je ne pouvais continuer ainsi : être vaillante et rayonnante, vaillante et rayonnante, sans faillir, jour après jour. »

C’est que voyez-vous, ses réactions, en tant que femme sensible et aussi passée par le « fatras romantique des adolescentes nourries aux romans de Jane Austen », j’ai pu en avoir certaines d’analogues. Je me suis identifiée à l’héroïne. J’imagine que d’autres auront un ressenti totalement différent à la lecture. Mais je m’imagine très bien à son âge, seule et crédule, amoureuse d’un tableau dans une vieille maison, à me murmurer des blagues en prenant un air malicieux et en fantasmant sur le jardinier… Et peut-être que je ne m’en rends pas compte, mais que je suis déjà Rachel-Waringuisée !!!

Retrouvez la bande-originale du livre sur le site du Tripode. Je peux prêter le livre à qui le souhaite !

justine3La vie rêvée de Rachel Waring, par Stephen Benatar. Le Tripode, 2014.